Les déserts médicaux : solutions territoriales adaptées
En 2024, plus de 18% des Français vivent dans un désert médical. Dans certains départements ruraux, il faut attendre plus de six mois pour consulter un ophtalmologue, trois mois pour un dermatologue. Les médecins généralistes n’acceptent plus de nouveaux patients, débordés par une patientèle déjà trop nombreuse.
Le programme « Territoires de Santé » lancé en 2023 montre des résultats encourageants dans les zones pilotes. À Saint-Laurent-sur-Mer, petite commune normande, l’ouverture d’une maison de santé pluridisciplinaire a permis l’installation de trois médecins généralistes, deux infirmières et un kinésithérapeute. « Notre modèle repose sur la collaboration entre praticiens et la mutualisation des ressources administratives », explique le Dr Martin, coordinateur du projet. « Nous partageons un secrétariat, des équipements, et surtout nous ne sommes plus isolés professionnellement. »
Les contrats d’engagement de service public (CESP) offrent une bourse mensuelle aux étudiants en médecine qui s’engagent à exercer en zone sous-dotée pour une durée équivalente à celle de l’aide perçue. En 2023, 450 étudiants ont signé ce contrat, un chiffre en hausse de 15% par rapport à l’année précédente.
La télémédecine constitue une autre réponse. Dans le Cantal, 32 cabines de téléconsultation ont été déployées dans des pharmacies et maisons France Services depuis 2022. « J’ai pu consulter un cardiologue en 48h alors que le délai habituel est de quatre mois », témoigne Jeanne, 67 ans, habitante de Riom-ès-Montagnes. Ces dispositifs permettent non seulement des consultations à distance mais aussi des examens grâce à des instruments connectés manipulés par des infirmiers formés.
Accès financier aux soins : réduire le reste à charge
Le renoncement aux soins pour raisons financières touche 25% des Français, principalement pour les soins dentaires, optiques et auditifs. La réforme « 100% Santé » a permis une avancée notable, mais des angles morts persistent.
La Complémentaire Santé Solidaire (CSS) représente un dispositif efficace mais sous-utilisé. Seuls 65% des bénéficiaires potentiels y ont recours. « Nous avons lancé une campagne d’information ciblée et simplifié les démarches administratives », indique la directrice de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Loire-Atlantique. « Le formulaire est passé de 12 à 4 pages, et nous proposons désormais un accompagnement téléphonique pour les personnes âgées ou en difficulté avec les démarches numériques. »
Dans plusieurs régions, des centres de santé municipaux proposent des consultations à tarif opposable. À Villeurbanne, le centre municipal de santé accueille 8000 patients par an. « Notre équipe compte désormais 12 médecins salariés et offre aussi des consultations de spécialistes une fois par semaine », précise sa directrice. « Nous fonctionnons sans dépassement d’honoraires et pratiquons systématiquement le tiers-payant. »
L’expérimentation « Santé pour Tous », menée dans quatre départements depuis 2022, vise à coordonner l’action des différents acteurs autour des personnes précaires. Les premiers résultats montrent une baisse de 35% du renoncement aux soins chez les participants. « Ce dispositif associe médiation en santé, accompagnement social et simplification administrative », résume le responsable du programme au ministère de la Santé.
Prévention et promotion de la santé : agir en amont
La France consacre seulement 2,2% de ses dépenses de santé à la prévention, contre 4,5% en moyenne dans les pays nordiques. Ce sous-investissement chronique explique en partie notre retard dans la gestion des maladies chroniques.
Le programme « Écoles en Santé » déployé dans 450 établissements scolaires depuis 2021 montre des résultats prometteurs. « Nous intervenons sur l’alimentation, l’activité physique, le sommeil et la santé mentale », explique une infirmière scolaire coordinatrice. « En deux ans, nous avons observé une réduction de 12% de la prévalence du surpoids chez les élèves des écoles participantes. »
Les « Rendez-vous Prévention » proposés depuis 2023 aux 25-45 ans ont permis de toucher une tranche d’âge qui consultait peu. « Nous avons détecté des facteurs de risque cardiovasculaire chez 22% des participants, et pu initier une prise en charge précoce », note le Dr Dubois, médecin de santé publique.
La prévention passe aussi par l’amélioration de notre environnement. Le programme « Villes-Santé » implique désormais 95 communes françaises qui s’engagent à intégrer la santé dans toutes leurs politiques publiques. Urbanisme, transports, qualité de l’air, espaces verts : tous ces domaines influencent directement notre santé. À Lyon, la création de 15 km de voies cyclables sécurisées s’est traduite par une augmentation de 23% de la pratique régulière du vélo entre 2020 et 2023.
Coordination des acteurs : fluidifier les parcours
La fragmentation du système de santé français pénalise particulièrement les patients atteints de pathologies complexes ou chroniques. Les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) constituent une réponse prometteuse. En 2024, 320 CPTS couvrent 65% du territoire national.
À Annecy, la CPTS locale regroupe 85 professionnels de santé qui partagent des protocoles communs de prise en charge. « Notre plateforme numérique sécurisée permet d’échanger facilement sur un patient et d’organiser son parcours », explique une pharmacienne membre du bureau. « Pour les sorties d’hospitalisation des personnes âgées, nous avons mis en place un protocole qui a réduit de 40% les ré-hospitalisations précoces. »
L’expérimentation « Patient Coordinateur » menée dans trois régions depuis 2022 forme des patients atteints de maladies chroniques à accompagner leurs pairs. « Mon rôle est complémentaire de celui des soignants », témoigne Michel, patient coordinateur pour le diabète de type 2. « Je peux consacrer du temps à expliquer le quotidien avec la maladie, partager des astuces pratiques que j’ai découvertes avec l’expérience. »
Les Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC) fusionnent plusieurs structures préexistantes pour offrir un guichet unique aux professionnels confrontés à des situations complexes. « Auparavant, un médecin généraliste ne savait pas toujours vers quelle structure se tourner face à un patient cumulant problèmes médicaux, sociaux et psychiques », explique la directrice du DAC des Ardennes. « Désormais, un seul numéro permet d’accéder à une équipe pluridisciplinaire capable d’évaluer la situation et de mobiliser les ressources appropriées. »
Innovation numérique : opportunités et vigilance
La e-santé offre des opportunités majeures pour l’accès aux soins, mais soulève également des questions d’équité. Le programme « Inclusion Numérique en Santé » vise à former les publics éloignés du numérique. Dans 200 communes rurales, des ateliers sont proposés aux seniors pour les familiariser avec la prise de rendez-vous en ligne ou la téléconsultation.
La plateforme « MonSuivi » permet aujourd’hui à 350 000 patients atteints de maladies chroniques de partager leurs données de santé avec leurs soignants. « Pour mon insuffisance cardiaque, j’enregistre mon poids, ma tension et mes symptômes quotidiennement », explique Robert, 72 ans. « Mon cardiologue est alerté en cas d’anomalie et peut ajuster mon traitement avant une décompensation grave. »
L’intelligence artificielle commence à transformer certaines pratiques médicales. À l’hôpital universitaire de Montpellier, un algorithme aide à détecter précocement les patients à risque de septicémie, permettant une intervention plus rapide. « Ce système a contribué à réduire la mortalité par sepsis de 18% dans notre service », indique le chef du département des urgences.
La vigilance reste néanmoins de mise. Le rapport du Comité d’Éthique Numérique en Santé publié en janvier 2024 souligne plusieurs points de vigilance : « Les innovations doivent rester au service de la relation soignant-soigné et non s’y substituer. Par ailleurs, l’accumulation de données de santé pose des questions cruciales de confidentialité et de souveraineté. »
Formation des professionnels : adapter les compétences
Face aux évolutions des besoins de santé, la formation initiale et continue des professionnels doit évoluer. La réforme des études de médecine de 2021 renforce l’exposition précoce des étudiants aux soins primaires. « Les stages en cabinet libéral ou en maison de santé pluridisciplinaire sont désormais obligatoires dès la quatrième année », explique une doyenne de faculté de médecine.
Le développement des pratiques avancées pour les infirmiers et autres professionnels paramédicaux constitue une autre piste prometteuse. En 2024, la France compte 3500 infirmiers en pratique avancée (IPA). À Tours, quatre IPA travaillent au sein d’une maison de santé. « J’assure le suivi régulier de patients diabétiques stabilisés, sous la supervision d’un médecin », témoigne l’une d’entre elles. « Cela permet au médecin de se concentrer sur les cas plus complexes et d’accepter de nouveaux patients. »
La simulation en santé se développe également comme outil pédagogique. Le centre de simulation régional de Bordeaux forme chaque année 5000 professionnels à la gestion des situations critiques et au travail en équipe. « Nous reproduisons des scénarios cliniques complexes avec des mannequins haute-fidélité ou des patients simulés », explique le responsable pédagogique. « Ces mises en situation permettent d’acquérir des réflexes et d’améliorer la communication entre professionnels, deux facteurs clés pour la sécurité des patients. »
Gouvernance et financement : penser à long terme
La vision court-termiste qui a trop souvent prévalu dans les politiques de santé montre aujourd’hui ses limites. Le rapport de la Commission Prospective Santé 2030 propose une nouvelle approche basée sur trois principes : décentralisation accrue, pluriannualité budgétaire et décloisonnement des financements.
L’expérimentation « Territoires Santé Responsables » menée dans cinq départements depuis 2023 confie aux acteurs locaux une plus grande autonomie dans l’organisation des soins, assortie d’une enveloppe financière globale. « Cette approche nous permet d’adapter les solutions aux spécificités de notre territoire et d’investir dans la prévention », explique la présidente du conseil territorial de santé de l’Ariège.
Le financement au parcours plutôt qu’à l’acte commence également à faire ses preuves. Pour la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique, 15 établissements expérimentent depuis 2022 un modèle qui valorise le maintien de la fonction rénale et le retard à la dialyse. « Ce modèle nous incite à investir dans l’éducation thérapeutique et la coordination avec les néphrologues de ville », indique le directeur d’un centre hospitalier participant.
Ces innovations ne peuvent cependant réussir sans une vision politique claire et partagée. « La santé doit cesser d’être perçue comme un coût pour être reconnue comme un investissement », souligne un économiste de la santé. « Chaque euro investi dans des programmes de prévention efficaces génère entre 3 et 7 euros d’économies à moyen terme. »
Vers une démocratie sanitaire renforcée
L’implication des citoyens et des patients dans la définition des politiques de santé représente un levier encore sous-exploité. La Convention Citoyenne pour la Santé organisée en 2023 a réuni 150 Français tirés au sort pour formuler des propositions sur l’accès aux soins. Après formation et délibération, ils ont émis 45 recommandations dont 28 ont été reprises dans la Stratégie Nationale de Santé 2024-2029.
À l’échelle locale, les Conseils Territoriaux de Santé intègrent désormais systématiquement des représentants d’usagers. « Notre participation permet de rappeler que l’objectif final du système n’est pas sa propre perpétuation mais bien la santé des populations », témoigne un représentant d’association de patients.
La recherche participative en santé se développe également. Le projet « MaSanté&Moi » associe chercheurs et habitants de quartiers défavorisés pour comprendre et agir sur les déterminants sociaux de santé. « Cette approche nous a permis d’identifier des facteurs de risque que nous n’avions pas perçus initialement et de co-construire des interventions mieux acceptées », explique la responsable scientifique du projet.
Les patients experts, formés à partager leur expérience de la maladie, interviennent désormais dans la formation initiale des soignants. À Lille, douze patients atteints de maladies chroniques participent régulièrement aux enseignements de la faculté de médecine. « Leur témoignage complète utilement l’approche biomédicale en rappelant la dimension vécue de la maladie », souligne le responsable pédagogique du programme.
Conclusion : des défis qui restent à relever
Malgré ces initiatives prometteuses, des défis majeurs persistent. Le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et les contraintes budgétaires imposent des choix difficiles. La pénurie de soignants ne se résorbera pas à court terme, même avec des politiques volontaristes.
Les inégalités sociales et territoriales de santé restent marquées. L’écart d’espérance de vie entre cadres et ouvriers atteint encore 6,4 ans pour les hommes. Les territoires ruraux et certains quartiers prioritaires cumulent difficultés d’accès aux soins et déterminants sociaux défavorables.
Face à ces défis, c’est bien la capacité de notre société à penser collectivement la santé qui sera déterminante. Au-delà des clivages politiques habituels, la construction d’un système de santé plus solidaire, plus préventif et plus efficient nécessite un engagement de long terme de tous les acteurs. Les solutions existent, les expérimentations réussies se multiplient. Le temps est venu de les déployer à plus grande échelle avec détermination et méthode.
Cet article est un extrait du livre Urgence Santé – Réparer l’accès aux soins en France par Vincent Lemoine -ISBN 978-2-488187-11-4.