L’action de terrain : une réponse concrète aux failles du système
Les centres d’accueil de l’association « Médecins Solidaires » reçoivent chaque jour des dizaines de personnes exclues du système de santé traditionnel. Dans le 18ème arrondissement de Paris, Marie, infirmière bénévole depuis cinq ans, accueille Ahmed, un homme de 42 ans sans couverture sociale. « Il souffre d’hypertension non traitée depuis des mois. Sans notre permanence, il n’aurait aucun suivi médical », explique-t-elle.
Cette scène se répète quotidiennement dans les 70 centres d’accueil de l’association répartis sur le territoire français. En 2024, plus de 30 000 consultations ont été assurées par des bénévoles pour des personnes sans accès aux soins conventionnels. L’engagement citoyen constitue ainsi un maillon essentiel pour combler les lacunes d’un système de santé qui, malgré ses qualités, laisse encore trop de personnes au bord du chemin.
Qui sont les bénévoles et comment s’engagent-ils ?
Les profils des bénévoles dans les associations d’aide médicale sont variés. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas uniquement de professionnels de santé à la retraite. « Nos équipes sont constituées à 60% de non-soignants », précise Thomas Lemaire, coordinateur des bénévoles à l’association « Soins pour Tous ». Étudiants, actifs, retraités de tous horizons participent à ces actions avec des compétences complémentaires.
Les missions proposées reflètent cette diversité :
- Pour les professionnels de santé : consultations médicales, soins infirmiers, évaluations psychologiques, conseils en nutrition
- Pour les non-professionnels : accueil des patients, aide administrative, traduction, accompagnement physique vers des structures de soins, logistique, sensibilisation
L’engagement peut prendre différentes formes temporelles : permanences régulières (quelques heures par semaine ou par mois), participations ponctuelles à des campagnes spécifiques, ou encore implications dans des projets à moyen terme comme l’ouverture d’un centre d’accueil ou une campagne de prévention.
Les publics accompagnés : au-delà des clichés
Les personnes bénéficiant de ces dispositifs ne correspondent pas toujours aux représentations habituelles. Si les personnes sans domicile fixe constituent une part importante des consultations, les associations accueillent également de nombreux travailleurs précaires, étudiants étrangers sans couverture sociale adaptée, personnes âgées isolées, ou encore familles monoparentales en difficulté financière.
« Ce qui m’a frappée quand j’ai commencé mon bénévolat, c’est de voir des personnes qui travaillent mais qui ne peuvent pas se soigner », témoigne Samira Belkacem, médecin généraliste bénévole à l’association « Santé Sans Frontières ». « J’ai reçu récemment une femme de ménage qui multiplie les contrats courts. Après avoir payé son loyer et nourri ses enfants, elle n’a plus les moyens d’avancer les frais pour un suivi médical, même avec une carte Vitale. »
Les associations développent des programmes spécifiques pour répondre aux besoins particuliers de ces différents publics :
- Maraudes médicalisées pour aller vers les personnes sans domicile
- Permanences d’accès aux droits pour faciliter l’obtention d’une couverture santé
- Consultations spécialisées pour les femmes ou les enfants
- Dispositifs de médiation en santé pour les populations allophones
L’impact concret du bénévolat sur l’accès aux soins
Les actions menées par les bénévoles produisent des résultats mesurables sur l’amélioration de l’accès aux soins. Une étude réalisée par l’Institut de Recherche en Santé Publique en 2023 montre que les permanences associatives permettent chaque année à environ 15 000 personnes de réintégrer le système de santé conventionnel après un accompagnement administratif.
Sur le plan médical, le rapport annuel de l’association « Médecins Solidaires » révèle que 72% des pathologies chroniques détectées lors des consultations bénévoles font ensuite l’objet d’un suivi régulier, soit au sein de l’association, soit dans le système de droit commun après régularisation de la situation administrative.
L’impact se mesure également en termes de prévention. Les campagnes de dépistage organisées par les bénévoles dans les quartiers prioritaires ou auprès des populations précaires permettent de détecter des pathologies à un stade précoce. « Nos opérations de dépistage du diabète touchent des personnes qui ne participeraient jamais aux campagnes nationales », explique le Dr Laurent Dupont, responsable médical à l’association « Prévention Santé ».
Au-delà de l’aide directe : un rôle de sentinelle et de plaidoyer
Les associations de bénévoles en santé jouent également un rôle crucial d’alerte sur les dysfonctionnements du système. Par leur présence sur le terrain, elles identifient les problématiques émergentes et les zones de tension.
« Nos bénévoles ont été les premiers à signaler l’augmentation des renoncements aux soins dentaires dans certains territoires ruraux », indique Jeanne Moreau, directrice de l’Observatoire de l’Accès aux Soins. « Ces remontées de terrain ont permis la mise en place de dispositifs mobiles de soins dentaires dans trois départements. »
Cette fonction de veille s’accompagne d’un travail de plaidoyer auprès des institutions sanitaires et des pouvoirs publics. Les associations participent activement aux concertations sur les politiques de santé en apportant leur expertise de terrain et en relayant la parole des personnes qu’elles accompagnent.
L’action des bénévoles contribue ainsi à faire évoluer les pratiques et les politiques publiques vers une meilleure prise en compte des réalités d’accès aux soins. La récente réforme des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) dans les hôpitaux s’est largement inspirée des pratiques développées par les associations de bénévoles.
S’engager concrètement : par où commencer ?
Pour ceux qui souhaitent s’impliquer dans l’amélioration de l’accès aux soins en France, plusieurs portes d’entrée existent :
- Contacter directement les associations nationales présentes sur l’ensemble du territoire (Médecins Solidaires, Santé Sans Frontières, Soins pour Tous)
- Se rapprocher des structures locales comme les centres d’accueil de jour ou les épiceries solidaires qui proposent souvent des permanences de santé
- Participer aux forums associatifs organisés dans la plupart des villes en septembre
- Consulter les plateformes de mise en relation comme Bénévol’Action ou Engagement Citoyen qui recensent les besoins des associations
La plupart des associations proposent des formations pour les nouveaux bénévoles, qu’ils soient professionnels de santé ou non. Ces formations permettent d’acquérir les compétences nécessaires pour accompagner efficacement les personnes en difficulté d’accès aux soins.
« On ne demande pas d’expérience préalable, mais plutôt de l’empathie et de la régularité », souligne Paul Mercier, responsable du recrutement des bénévoles à l’association « Médecins Solidaires ». « Notre formation initiale de trois jours permet d’acquérir les bases nécessaires, puis l’apprentissage se fait sur le terrain, accompagné par des bénévoles expérimentés. »
Témoignages : ce que l’engagement apporte aux bénévoles
L’engagement bénévole dans le domaine de la santé ne représente pas seulement un don de soi, mais aussi une source d’enrichissement personnel et professionnel. Les témoignages des bénévoles convergent sur plusieurs aspects :
« Ce bénévolat m’a fait redécouvrir le sens profond de mon métier d’infirmier. À l’hôpital, la pression administrative et les cadences nous font parfois oublier pourquoi nous avons choisi cette profession. Ici, j’ai le temps d’écouter vraiment les personnes. » – Karim, 34 ans, infirmier
« Comme juriste, je pensais bien connaître les droits sociaux. Mon engagement auprès des personnes en difficulté d’accès aux soins m’a fait réaliser l’écart entre la théorie et la pratique. J’ai découvert la complexité des parcours administratifs pour des personnes fragilisées. » – Lucie, 42 ans, juriste
« Être bénévole à l’accueil m’a appris l’humilité face à la résilience des personnes que nous recevons. Cette expérience a complètement changé mon regard sur la précarité. » – Marc, 67 ans, retraité
Pour les professionnels de santé, cet engagement permet souvent de développer des compétences spécifiques peu enseignées dans les cursus traditionnels : approche interculturelle de la santé, prise en charge de pathologies à un stade avancé, adaptation des soins dans un contexte de ressources limitées.
Pour les non-soignants, le bénévolat dans le domaine de la santé offre une perspective unique sur les déterminants sociaux de la santé et les mécanismes d’exclusion. De nombreux bénévoles témoignent également du développement de compétences transférables dans leur vie professionnelle : gestion de situations complexes, communication interculturelle, travail en équipe pluridisciplinaire.
Les limites du bénévolat : une réponse nécessaire mais insuffisante
Si l’engagement citoyen constitue un maillon essentiel dans l’amélioration de l’accès aux soins, il présente également des limites qu’il convient de reconnaître.
La première limite concerne la couverture territoriale. Malgré le dynamisme des réseaux bénévoles, certaines zones, notamment rurales ou périurbaines, restent peu dotées en dispositifs associatifs. « Nous recevons régulièrement des demandes d’intervention dans des territoires où nous ne sommes pas présents, faute de bénévoles sur place », reconnaît Anne Lefevre, coordinatrice nationale à l’association « Soins pour Tous ».
La seconde limite touche à la continuité des soins. Les dispositifs bénévoles, par nature, ne peuvent garantir la même permanence qu’un service public. Les horaires d’ouverture restreints, la rotation des bénévoles et les contraintes logistiques peuvent créer des ruptures dans les parcours de soins.
Enfin, le bénévolat ne peut et ne doit pas se substituer à la responsabilité des pouvoirs publics d’assurer l’accès aux soins pour tous. « Notre action est un révélateur des défaillances du système, pas une solution pérenne », insiste le Dr Michel Blanc, président de « Médecins Solidaires ». « Nous intervenons là où le système conventionnel est absent ou défaillant, mais notre objectif est bien que chacun puisse accéder au droit commun. »
Cette position est partagée par la majorité des associations qui articulent leur action de terrain avec un plaidoyer politique pour renforcer le système de santé public.
Vers une synergie entre action citoyenne et politiques publiques
Les expériences les plus réussies en matière d’amélioration de l’accès aux soins reposent sur une articulation intelligente entre l’engagement bénévole et les dispositifs institutionnels. Dans plusieurs régions, des partenariats formalisés ont été établis entre les associations et les structures publiques.
À Lyon, le projet « Passerelle Santé » associe les permanences bénévoles de l’association « Médecins Solidaires » et le service des urgences du CHU. Une convention permet d’orienter les patients entre les deux structures selon leurs besoins, évitant ainsi l’engorgement des urgences pour des soins primaires tout en garantissant l’accès à l’hôpital pour les situations qui le nécessitent.
Dans le département du Nord, la création de « Maisons de Santé Participatives » intègre des professionnels libéraux, des services publics et des permanences associatives dans un même lieu, facilitant les parcours de soins et l’accès aux droits.
Ces exemples montrent que l’engagement citoyen ne se substitue pas à l’action publique mais la complète et l’enrichit. Les bénévoles apportent une connaissance fine des réalités de terrain, une souplesse d’intervention et une capacité à innover que les institutions peuvent ensuite intégrer et déployer à plus grande échelle.
L’enjeu pour les prochaines années sera de multiplier ces modèles de coopération, en préservant l’autonomie et la capacité d’interpellation des associations tout en renforçant leur impact grâce à des partenariats institutionnels.
Conclusion : l’engagement citoyen, un levier de transformation du système de santé
S’engager comme bénévole dans une association d’aide médicale ne représente pas seulement une réponse immédiate aux besoins non couverts par le système conventionnel. Cette implication constitue également un puissant levier de transformation sociale et systémique.
Les citoyens qui s’engagent sur le terrain de l’accès aux soins deviennent des témoins directs des dysfonctionnements, mais aussi des potentialités du système de santé. Leur expérience nourrit le débat public et contribue à faire évoluer les représentations collectives sur les questions de santé et de solidarité.
Par leur action quotidienne, les bénévoles démontrent qu’une autre approche du soin est possible, plus humaine, plus accessible et plus attentive aux déterminants sociaux de la santé. Les pratiques développées dans le cadre associatif (accueil inconditionnel, approche globale, médiation en santé) inspirent progressivement le système conventionnel.
Face aux défis que rencontre notre système de santé – vieillissement de la population, augmentation des maladies chroniques, tensions sur la démographie médicale – l’engagement citoyen constitue une ressource précieuse pour imaginer et expérimenter de nouvelles formes de solidarité et d’organisation des soins.
En décidant de s’impliquer, chaque citoyen contribue à sa mesure à réparer l’accès aux soins en France, non seulement par l’aide directe apportée aux personnes en difficulté, mais aussi par sa participation à un mouvement plus large de transformation sociale et systémique.
Cet article est un extrait du livre Urgence Santé – Réparer l’accès aux soins en France par Vincent Lemoine -ISBN 978-2-488187-11-4.