Les initiatives locales qui transforment l’accès aux soins
Les zones rurales d’Auvergne ont vu leur offre médicale se détériorer progressivement depuis une décennie. À Saint-Laure, commune de 1200 habitants, le dernier médecin a fermé son cabinet en 2018, laissant les résidents sans solution de proximité. « Pour une bronchite ou une angine, je dois maintenant faire 45 minutes de route », témoigne Marie Laurent, mère de trois enfants. Cette situation, loin d’être isolée, illustre la fracture sanitaire qui s’aggrave dans les territoires.
Face à ces difficultés, le Conseil régional auvergnat a développé depuis 2020 un programme ambitieux d’aides à l’installation médicale. « Nous offrons jusqu’à 50 000 euros aux jeunes médecins qui s’engagent pour cinq ans minimum dans nos zones prioritaires », explique Vincent Moreau, vice-président chargé de la santé à la région. Ce dispositif a déjà permis l’installation de 27 médecins généralistes en trois ans.
Le modèle auvergnat : une approche globale et financièrement attractive
L’originalité du modèle auvergnat repose sur sa vision à 360 degrés des besoins médicaux territoriaux. Au-delà du simple soutien financier à l’installation, la région prend en charge :
- L’équipement initial des cabinets (jusqu’à 30 000 euros pour les professionnels paramédicaux)
- Les frais de déplacement des spécialistes effectuant des consultations avancées en zone rurale
- Un accompagnement administratif personnalisé pour limiter les charges bureaucratiques
- Des aides au logement pour les médecins et leur famille
La Maison de Santé Pluridisciplinaire (MSP) de Montluçon-Est illustre les résultats de cette politique. Inaugurée en 2022, elle regroupe aujourd’hui trois médecins généralistes, deux infirmières, une sage-femme, deux kinésithérapeutes et un orthophoniste. « Sans le soutien régional de 450 000 euros, ce projet n’aurait jamais vu le jour », affirme le Dr Thomas Legrand, coordinateur de la structure.
Depuis 2016, la région a investi 12 millions d’euros dans la création ou l’extension de 37 structures de santé collectives, permettant le maintien ou l’installation de 112 professionnels de santé dans des territoires précédemment classés comme déserts médicaux.
Des innovations mobiles pour atteindre les populations isolées
L’initiative du « Bus Santé Auvergne » représente une autre facette de cette politique territoriale. Ce dispositif mobile sillonne depuis 2021 les établissements scolaires ruraux pour mener des actions de prévention et de dépistage. Équipé d’un cabinet de consultation et d’outils de diagnostic, il permet à des médecins vacataires de réaliser des examens préventifs auprès des lycéens.
« Nous avons dépisté 28 cas d’hypertension et 15 troubles auditifs nécessitant une prise en charge chez des jeunes qui n’auraient probablement pas consulté autrement », note la Dr Sophie Martin, coordinatrice médicale du programme. En 2023, le bus a visité 42 établissements et réalisé plus de 3800 consultations préventives.
Ce modèle est désormais étendu avec deux nouveaux véhicules dédiés spécifiquement au dépistage des cancers et aux soins dentaires, qui commenceront à circuler dans les zones les plus isolées dès septembre 2025.
Le modèle des Hauts-de-France : participation citoyenne et innovation sociale
Dans les Hauts-de-France, la problématique d’accès aux soins se double d’indicateurs de santé particulièrement préoccupants. La région présente une surmortalité de 20% par rapport à la moyenne nationale et des taux d’obésité infantile parmi les plus élevés du pays.
Pour faire face à ces défis, l’Institut Régional de Santé (IRS), organisme fictif comparable à l’ARS, a adopté une approche novatrice fondée sur la participation citoyenne et la démocratie sanitaire. « Nous sommes convaincus que la population doit être actrice des solutions, pas seulement bénéficiaire », explique Catherine Dubois, directrice de l’innovation sociale à l’IRS.
Les Forums Citoyens de Santé : co-construire les solutions avec les habitants
Depuis 2019, les Forums Citoyens de Santé (FCS) constituent l’élément central de cette démarche participative. Ces instances locales réunissent habitants, élus, professionnels de santé et associations pour identifier les besoins prioritaires et proposer des solutions adaptées.
À Fourmies, ville de 12 000 habitants particulièrement touchée par la désertification médicale, le FCS a abouti à la création d’un Centre de Santé Municipal employant directement trois médecins salariés. « Le statut salarié avec des horaires fixes et sans charges administratives a été identifié comme la solution pour attirer des praticiens dans notre bassin de vie », explique Julien Lefort, maire de la commune.
L’expérience de Fourmies a inspiré douze autres municipalités de la région, créant un réseau de centres de santé municipaux coordonnés qui partagent leurs ressources et leurs praticiens. Cette mutualisation permet d’offrir des conditions de travail attractives tout en garantissant une présence médicale, même partielle, dans des territoires qui en étaient totalement dépourvus.
Le Guichet Unique d’Installation : simplification administrative et accompagnement
Pour faciliter l’installation des professionnels, l’IRS a mis en place en 2021 un Guichet Unique d’Installation (GUI). Cette structure centralise toutes les démarches administratives et offre un accompagnement personnalisé aux médecins et infirmiers souhaitant s’établir dans la région.
« Un médecin qui s’installe doit normalement effectuer 25 démarches différentes auprès de 11 organismes. Avec le GUI, tout est regroupé et nous nous chargeons de 80% du processus », détaille Anne Mercier, responsable du dispositif. Le temps d’installation moyen a été réduit de 6 mois à 6 semaines, avec un taux de satisfaction de 92% parmi les 73 professionnels accompagnés depuis la création du service.
Le GUI propose également un service de mise en relation avec les territoires cherchant à attirer des professionnels de santé, organisant des « week-ends découverte » permettant aux praticiens et à leur famille de visiter les communes et d’échanger avec les élus locaux.
Intégrer la prévention dans tous les aspects de la vie quotidienne
La région a développé un programme ambitieux baptisé « Santé Partout », visant à intégrer la prévention dans tous les environnements de vie. Ce programme repose sur des partenariats avec les entreprises, écoles, associations sportives et culturelles pour diffuser les messages de prévention et faciliter l’adoption de comportements favorables à la santé.
Dans le bassin minier, particulièrement touché par l’obésité infantile, le programme « École en Forme » a permis d’équiper 85 cantines scolaires en matériel de cuisine permettant une alimentation de meilleure qualité, tout en formant le personnel à la préparation de repas équilibrés avec des produits locaux.
« Nous avons constaté une réduction de 7% de la prévalence du surpoids chez les enfants des écoles participantes en trois ans », souligne le Dr Nicolas Blanchard, épidémiologiste à l’Observatoire Régional de la Santé. Ce programme s’accompagne d’interventions hebdomadaires d’éducateurs sportifs dans les écoles et de la création de jardins pédagogiques permettant aux enfants de cultiver et consommer leurs propres légumes.
Vers un modèle hybride : les enseignements des expériences régionales
L’analyse comparée des initiatives auvergnates et nordistes permet d’identifier les facteurs clés de succès pour améliorer l’accès aux soins dans les territoires fragiles :
- L’adaptation aux spécificités locales : les solutions standardisées échouent souvent face à la diversité des territoires
- L’approche multidimensionnelle : combinant incitations financières, simplification administrative et amélioration du cadre de vie
- L’implication des citoyens : garantissant l’adéquation des dispositifs aux besoins réels de la population
- La coordination entre acteurs : dépassant les clivages institutionnels pour une action cohérente
Ces expériences montrent qu’il est possible de renverser la tendance à la désertification médicale, à condition d’adopter des approches innovantes et de mobiliser tous les leviers disponibles.
L’exemple de la télémédecine intégrée : au-delà des solutions techniques
Les deux régions ont développé des approches complémentaires de la télémédecine, dépassant la simple installation d’équipements techniques. En Auvergne, le programme « Téléconsult+ » forme des infirmiers à l’assistance technique et clinique pendant les téléconsultations, améliorant considérablement la qualité des échanges.
« Un médecin peut ausculter à distance grâce à nos manipulations et aux dispositifs connectés. Cela change complètement la nature et l’efficacité de la téléconsultation », explique Sylvie Renard, infirmière formée au programme. Dans les Hauts-de-France, l’accent est mis sur l’intégration de la télémédecine dans des lieux familiers pour les patients : pharmacies, mairies, voire cafés de village aménagés.
La pharmacie de Beaulieu-sur-Dordogne illustre cette approche : un espace dédié permet aux patients de consulter neuf spécialités médicales sans quitter leur village. « Nous réalisons plus de 45 téléconsultations hebdomadaires, évitant autant de déplacements parfois impossibles pour nos patients âgés », indique Pierre Fontaine, pharmacien titulaire.
Former et attirer : les solutions à long terme
Au-delà des mesures immédiates, les deux régions ont engagé des actions structurelles visant à augmenter le nombre de professionnels formés et à renforcer l’attractivité des carrières médicales en zone sous-dense.
L’Université de Médecine de Clermont-Ferrand a ainsi créé en 2021 un cursus spécifique « Médecine rurale », permettant aux étudiants de suivre une partie de leur formation directement dans des maisons de santé rurales. « Cette immersion précoce change radicalement leur perception de l’exercice rural, souvent perçu comme isolé et difficile », note le Professeur Jean Masson, responsable du programme.
Dans les Hauts-de-France, l’accent est mis sur les formations paramédicales avec l’ouverture de trois nouveaux instituts de formation d’infirmiers en pratique avancée, spécifiquement implantés dans des zones sous-dotées. Ces professionnels, dotés de compétences élargies, peuvent prendre en charge certaines consultations et suivis habituellement réservés aux médecins, démultipliant ainsi l’offre de soins accessible.
Recommandations pour une politique nationale
Les expériences réussies en Auvergne et dans les Hauts-de-France offrent des pistes concrètes pour une politique nationale de lutte contre les déserts médicaux :
- Décentraliser les décisions et les financements pour permettre une adaptation aux réalités locales
- Créer un statut mixte pour les professionnels de santé, combinant exercice libéral et missions de service public rémunérées
- Intégrer systématiquement des stages en zone sous-dense dans les formations médicales et paramédicales
- Développer les compétences des professionnels paramédicaux pour élargir l’offre de soins de premier recours
- Conditionner l’installation dans les zones surdenses à un engagement temporaire en zone prioritaire
Ces mesures nécessitent un investissement initial important mais généreraient des économies substantielles à long terme en réduisant les complications liées aux retards de prise en charge et en diminuant le recours aux urgences hospitalières.
L’expérience des territoires montre que les solutions existent. Leur généralisation requiert une volonté politique forte et une coordination efficace entre tous les acteurs du système de santé. L’enjeu n’est pas seulement sanitaire, mais aussi d’équité territoriale et de cohésion sociale.
Cet article est un extrait du livre Urgence Santé – Réparer l’accès aux soins en France par Vincent Lemoine -ISBN 978-2-488187-11-4.