Des plateformes qui révolutionnent l’accès aux soins
Les rendez-vous médicaux sont désormais à portée de clic. Avec plus de 300 000 professionnels de santé inscrits et 60 millions d’utilisateurs mensuels, la plateforme MédiRDV transforme depuis 2013 la prise de rendez-vous médicaux. Cette solution numérique répond directement à l’engorgement des secrétariats médicaux et aux délais d’attente téléphoniques qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de minutes.
Le passage à l’ère numérique s’observe dans les chiffres : 77% des Français utilisent désormais des plateformes de prise de rendez-vous en ligne, contre seulement 23% en 2017. L’adoption s’accélère particulièrement dans les zones rurales, où la plateforme enregistre une augmentation de 45% des connexions depuis 2021.
La téléconsultation, intégrée à ces plateformes, a connu une croissance exponentielle. De 40 000 actes mensuels début 2020 à plus de 1,2 million en 2025, cette pratique s’est normalisée. Le Dr Martin, médecin généraliste dans l’Ariège, témoigne : « La téléconsultation me permet de suivre régulièrement des patients à mobilité réduite qui n’auraient pas pu se déplacer. Pour certains suivis chroniques, c’est une solution efficace qui évite des déplacements inutiles. »
SantéConnect : le service public numérique de santé
Lancé en 2022, SantéConnect représente l’ambition publique d’un espace numérique de santé pour chaque citoyen. Cette plateforme nationale propose un carnet de santé numérique, une messagerie sécurisée pour échanger avec les professionnels, et un catalogue d’applications de santé certifiées.
Avec 35 millions de comptes activés en 2025, SantéConnect progresse mais reste en-deçà des objectifs initialement fixés à 45 millions. L’adoption est particulièrement faible chez les plus de 70 ans (22%) et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (29%).
Les professionnels reconnaissent sa valeur ajoutée clinique. Le partage instantané des résultats d’analyses et d’imagerie réduit les délais diagnostiques et thérapeutiques de 48 heures en moyenne. Les erreurs médicamenteuses ont diminué de 15% grâce à l’historique des prescriptions disponible pour chaque patient.
La fracture numérique : un obstacle majeur
Derrière les promesses technologiques se cache une réalité préoccupante : 13 millions de Français restent en situation d’illectronisme. Ces personnes, souvent âgées, issues de milieux défavorisés ou vivant dans des zones rurales mal connectées, se retrouvent doublement exclues : du numérique et potentiellement des soins.
À Saint-Étienne, Mme Durand, 78 ans, n’a jamais utilisé d’ordinateur : « Mon médecin part à la retraite et m’a dit de prendre rendez-vous sur internet avec son remplaçant. Je ne sais pas comment faire, alors j’attends que ma fille vienne m’aider ce week-end, mais j’ai besoin de mon traitement maintenant. »
Les « aidants numériques » émergent comme solution transitoire. Dans l’Aisne, le réseau « SantéPourTous » a formé 120 médiateurs qui accompagnent les patients dans leurs démarches numériques de santé. En 2024, ils ont aidé plus de 8 000 personnes à prendre des rendez-vous en ligne, à consulter leurs résultats d’examens ou à activer leur espace SantéConnect.
Les inégalités territoriales face au numérique
La couverture internet reste inégale sur le territoire. En 2025, si 92% des foyers français ont théoriquement accès au haut débit, la qualité des connexions varie considérablement. Dans les zones rurales du Cantal, de la Creuse ou des Ardennes, les coupures fréquentes et les débits insuffisants compliquent les téléconsultations.
Le déploiement des « Maisons de Santé Connectées » tente de répondre à ces disparités. Ces espaces équipés d’outils numériques performants permettent aux patients de consulter à distance des spécialistes. À Guéret (Creuse), la Maison de Santé Connectée offre des téléconsultations avec des dermatologues, psychiatres et endocrinologues, spécialités absentes du département.
Les « bus numériques de santé » sillonnent également les territoires ruraux. À bord de ces véhicules équipés, des assistants guident les habitants dans leurs démarches de santé en ligne et proposent des téléconsultations avec des professionnels. En Lozère, le bus « SantéMobile » dessert 38 communes et a réalisé 1 200 accompagnements en 2024.
La sécurité des données : préoccupation légitime
La digitalisation des données de santé soulève des questions de confidentialité et de sécurité. En 2023, trois cyberattaques majeures ont visé des établissements de santé français, exposant potentiellement les données de milliers de patients.
L’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) a révélé une augmentation de 58% des tentatives d’intrusion dans les systèmes d’information de santé entre 2022 et 2024. Face à cette menace, le plan « CyberSanté 2025 » mobilise 350 millions d’euros pour renforcer la sécurité numérique du secteur.
Les Français expriment leur méfiance : selon un sondage de l’Institut de Recherche en Santé Publique, 68% d’entre eux craignent que leurs données médicales ne soient pas suffisamment protégées sur les plateformes numériques. Cette inquiétude freine l’adoption des outils numériques par certains patients et professionnels.
L’IA médicale : promesses et réalités
L’intelligence artificielle transforme progressivement les pratiques médicales. La plateforme « DiagnosIA », développée par le Centre National de Recherche Médicale, analyse les images radiologiques avec une précision qui rivalise avec celle des radiologues expérimentés. En dermatologie, l’application « DermaScan » aide les médecins généralistes à identifier les lésions cutanées suspectes avec un taux de fiabilité de 91%.
La startup lyonnaise « MédiPredict » propose un algorithme qui identifie les patients à risque de décompensation cardiaque en analysant leurs données médicales. Déployé dans 17 hôpitaux, ce système a permis d’anticiper 78% des situations critiques, réduisant les hospitalisations d’urgence de 23%.
Cependant, ces technologies posent des questions éthiques. Le Dr Legrand, éthicien à l’université de Strasbourg, alerte : « L’IA médicale doit rester un outil d’aide à la décision et non un substitut au jugement clinique. Le risque est de déshumaniser la relation soignant-soigné et de standardiser des approches thérapeutiques qui devraient rester personnalisées. »
Le remboursement des solutions numériques
La prise en charge financière des innovations numériques reste un frein à leur déploiement. Si les téléconsultations sont désormais remboursées dans les mêmes conditions qu’une consultation classique, d’autres solutions peinent à trouver leur modèle économique.
Les applications de suivi de maladies chroniques, malgré leur efficacité prouvée, ne sont remboursées que dans le cadre d’expérimentations limitées. L’application « DiabèteCompagnon », qui permet aux patients diabétiques de surveiller leur glycémie et d’ajuster leur traitement, n’est prise en charge que dans cinq régions pilotes, créant une inégalité d’accès sur le territoire.
La Sécurité Sociale expérimente depuis 2024 le « forfait numérique santé », une enveloppe annuelle de 150 euros permettant aux patients atteints de maladies chroniques d’accéder à des solutions numériques certifiées. Les premiers résultats montrent une amélioration de l’observance thérapeutique de 27% et une réduction des hospitalisations de 18%.
Formation des professionnels : le chainon manquant
L’appropriation des outils numériques par les soignants reste inégale. Selon l’enquête de l’Ordre National des Médecins, 62% des praticiens de plus de 50 ans déclarent se sentir insuffisamment formés aux nouvelles technologies, contre 31% des moins de 40 ans.
À l’hôpital de Lille, le Dr Dubois, responsable de la transformation numérique, observe : « Nous avons déployé des outils performants, mais sans accompagnement adéquat, ils restent sous-utilisés. La technologie doit s’adapter aux professionnels et non l’inverse. »
Les facultés de médecine intègrent progressivement la santé numérique dans leurs cursus. Depuis 2023, un module obligatoire de 40 heures est consacré aux outils numériques et à la télémédecine. Pour les professionnels en exercice, l’Association pour la Formation Médicale Continue propose le programme « NumériSanté » qui a formé 15 000 soignants depuis son lancement en 2022.
Expériences internationales : s’inspirer sans copier
D’autres pays européens offrent des modèles inspirants d’intégration numérique en santé. En Estonie, 99% des prescriptions sont électroniques depuis 2010 et chaque citoyen dispose d’un identifiant unique permettant d’accéder à l’ensemble de ses données médicales. Ce système a réduit les erreurs médicamenteuses de 80% en dix ans.
Au Danemark, la plateforme « Sundhed » centralise depuis 2003 l’ensemble des services de santé numériques. Les patients y prennent leurs rendez-vous, consultent leurs résultats d’examens et communiquent avec leurs soignants. Le taux de satisfaction atteint 89% et les coûts administratifs ont diminué de 30%.
Ces exemples doivent être adaptés aux spécificités françaises. M. Leroy, expert en politiques de santé, précise : « Le système français se caractérise par une organisation complexe et une forte culture de protection des données personnelles. Nous devons construire notre propre modèle numérique qui respecte ces particularités tout en s’inspirant des réussites étrangères. »
Vers une stratégie numérique inclusive
Pour que la technologie serve véritablement l’accès aux soins pour tous, cinq priorités se dégagent :
- Garantir des alternatives non numériques pour tous les services essentiels de santé
- Déployer massivement des médiateurs numériques de santé, particulièrement dans les zones défavorisées et rurales
- Renforcer la formation des professionnels de santé aux outils numériques
- Accélérer la prise en charge financière des solutions numériques éprouvées
- Intensifier la protection des données de santé face aux cybermenaces
L’association « NumériSanté Pour Tous » propose un « indice d’inclusion numérique » qui évalue chaque nouvelle solution de santé selon des critères d’accessibilité, d’ergonomie et d’accompagnement proposé. Cet indice, expérimenté depuis 2024, pourrait devenir un critère obligatoire pour l’homologation des outils numériques de santé.
La technologie en santé n’est pas une fin en soi mais un moyen d’améliorer l’accès aux soins. Son déploiement doit s’accompagner d’une réflexion continue sur son impact réel sur les inégalités de santé. Comme le résume Pr Moreau, sociologue de la santé : « La révolution numérique en santé ne sera réussie que si elle réduit les fractures existantes au lieu d’en créer de nouvelles. »
Cet article est un extrait du livre Urgence Santé – Réparer l’accès aux soins en France par Vincent Lemoine -ISBN 978-2-488187-11-4.