Santé en France : Renforcer l’accès dans les territoires oubliés

Bus et unités mobiles de soins : atteindre les populations isolées

Le bus médical s’arrête sur la place centrale du village de Saint-Martin-des-Prés. Il est 8h30 et déjà, une dizaine de personnes attendent. Certaines ont pris rendez-vous, d’autres espèrent une consultation sans rendez-vous. Dans ce village de 450 habitants situé à plus de 35 kilomètres du centre hospitalier le plus proche, cette visite mensuelle représente souvent le seul contact avec un professionnel de santé.

« Je n’ai plus de médecin traitant depuis trois ans. Le dernier est parti à la retraite et personne ne l’a remplacé », explique Jeanne, 72 ans. « Sans ce bus, je devrais faire une heure de route, quand ma fille peut m’emmener. Sinon, je reporte mes soins, tout simplement. »

La réalité des déserts médicaux en chiffres

En 2025, plus de 8 millions de personnes en France vivent dans un désert médical. Ces zones se caractérisent par une densité de médecins généralistes inférieure à 2,5 pour 10 000 habitants, alors que la moyenne nationale s’établit à 8,9. Les départements les plus touchés – la Creuse, l’Eure, la Nièvre, l’Yonne et certaines zones des Hauts-de-France – présentent des situations alarmantes avec des délais d’attente pouvant dépasser six mois pour une consultation chez un spécialiste.

L’accès aux soins est devenu si difficile que 11% des Français déclarent avoir renoncé à des soins médicaux au cours des douze derniers mois, principalement en raison de l’éloignement géographique ou de l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous dans un délai raisonnable.

Les unités mobiles : une réponse concrète

Face à cette situation, les dispositifs itinérants de santé se multiplient sur le territoire. En 2024, la France comptait 215 unités mobiles médicalisées, contre seulement 87 en 2019. Ces structures prennent différentes formes :

  • Les bus médicaux polyvalents proposant des consultations de médecine générale
  • Les unités spécialisées (mammographie, ophtalmologie, dentaire)
  • Les camions de dépistage et de prévention
  • Les dispositifs mobiles de téléconsultation

Le Centre Départemental de Santé Mobile du Puy-de-Dôme illustre ce modèle. Son véhicule aménagé parcourt 14 communes rurales selon un calendrier mensuel fixe. À bord, une équipe composée d’un médecin généraliste, d’une infirmière et d’une secrétaire médicale assure des consultations de premier recours.

« Notre unité mobile réalise environ 1 200 consultations par mois, » précise le Dr. Martin, coordinateur du dispositif. « Nous touchons principalement des personnes âgées, mais aussi des familles avec enfants et des actifs qui ne peuvent pas se permettre de perdre une journée de travail pour consulter un médecin à 50 kilomètres. »

Un panel de soins diversifié

Contrairement aux idées reçues, les unités mobiles ne se limitent pas à la médecine générale. L’éventail des soins proposés s’élargit constamment :

Dépistage et prévention

Les bus de dépistage constituent l’une des applications les plus répandues. L’Association Régionale de Dépistage Mobile (nom fictif) opère dans huit départements avec ses camions équipés pour la mammographie. « Nous atteignons un taux de participation de 62% dans les zones rurales que nous couvrons, contre 47% dans les mêmes territoires avant notre intervention, » indique sa directrice.

D’autres dispositifs se concentrent sur le dépistage des maladies cardiovasculaires, du diabète, ou des cancers cutanés. En Bretagne, l’unité mobile « Prévention Mer et Terre » sillonne les ports de pêche pour sensibiliser les marins aux risques professionnels et réaliser des examens de santé adaptés à leur métier.

Spécialités médicales

L’accès aux spécialistes représente un défi majeur dans les zones sous-dotées. Des initiatives innovantes tentent d’y répondre :

  • En Bourgogne, un camion ophtalmologique équipé d’appareils de mesure de pointe permet de réaliser des examens complets et de prescrire des lunettes.
  • Dans les Landes, une unité mobile de gynécologie assure le suivi des femmes dans 17 communes rurales.
  • En Seine-Maritime, un cabinet dentaire itinérant dessert les EHPAD et les établissements scolaires isolés.

Le Dr. Moreau, gynécologue, partage son expérience : « J’exerce trois jours par semaine dans mon cabinet en ville et deux jours dans l’unité mobile. Cette alternance me permet de maintenir un équilibre professionnel tout en contribuant à réduire les inégalités d’accès aux soins. »

Santé mentale

La psychiatrie n’échappe pas aux problématiques de désertification médicale. L’Équipe Mobile Psychiatrie Précarité du Centre hospitalier de l’Ouest (nom fictif) déploie un fourgon aménagé dans les zones rurales et périurbaines.

« Nous recevons des personnes qui n’auraient jamais consulté sans notre présence locale, » explique Mme Dubois, infirmière psychiatrique. « Notre approche ‘hors les murs’ déstigmatise la consultation psychiatrique et permet d’intervenir précocement, avant que les situations ne se dégradent. »

Modèles économiques et financements

Le coût d’acquisition et d’exploitation d’une unité mobile représente un investissement conséquent. Un bus médical équipé coûte entre 300 000 et 500 000 euros, auxquels s’ajoutent les frais de personnel, d’entretien et de carburant.

Différents modèles économiques coexistent :

  • Les dispositifs portés par les collectivités territoriales (départements, communautés de communes)
  • Les projets associatifs financés par des subventions et du mécénat
  • Les unités rattachées à des établissements de santé
  • Les initiatives privées, portées par des groupements de professionnels de santé

La Région Centre-Val de Loire a développé un modèle innovant en acquérant six unités mobiles mises à disposition des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS). Les professionnels locaux assurent les consultations, tandis que la région finance le véhicule et son fonctionnement.

L’Agence Régionale de Santé des Hauts-de-France a quant à elle lancé un appel à projets dédié aux unités mobiles, avec une enveloppe de 3 millions d’euros sur trois ans pour soutenir dix dispositifs dans les zones les plus fragiles.

Enjeux juridiques et réglementaires

Le développement des unités mobiles se heurte parfois à des obstacles réglementaires. Le cadre juridique reste flou concernant ces structures hybrides, à mi-chemin entre cabinet médical et établissement de santé.

La question de la continuité des soins pose également problème : comment assurer le suivi des patients entre deux passages du véhicule ? Comment gérer les urgences ? Ces questions ont trouvé des réponses variables selon les territoires.

La télémédecine apparaît comme un complément naturel aux unités mobiles. Dans le Cantal, le bus « Santé pour Tous » combine présence physique et téléconsultation : une infirmière est présente en permanence dans le véhicule, tandis que des médecins généralistes et spécialistes interviennent à distance selon un planning établi.

Limites et perspectives

Si les unités mobiles constituent une réponse adaptée à court terme, elles ne peuvent résoudre à elles seules la problématique des déserts médicaux.

« Ces dispositifs doivent s’inscrire dans une stratégie territoriale plus large, » analyse le Professeur Dupont, spécialiste des politiques de santé. « Ils représentent une solution transitoire, en attendant de reconstruire une offre de soins pérenne. »

Plusieurs limites sont identifiées :

  • La disponibilité limitée : une présence hebdomadaire ou mensuelle ne peut remplacer un accès permanent aux soins
  • Le coût par consultation, supérieur à celui d’un cabinet fixe
  • La dépendance aux financements publics temporaires
  • La difficulté à attirer des professionnels sur le long terme

Face à ces constats, plusieurs pistes d’évolution se dessinent :

Des hubs territoriaux mixtes

Le modèle du « hub and spoke » gagne du terrain : un centre de santé fixe (le hub) coordonne plusieurs antennes mobiles (les spokes) qui irrigent le territoire. Cette organisation optimise les ressources humaines et matérielles tout en garantissant une continuité des soins.

Dans l’Allier, la Maison de Santé Pluridisciplinaire de Bourbon-l’Archambault a développé ce modèle. Deux véhicules desservent huit communes environnantes, en lien constant avec l’équipe basée au centre principal.

L’intégration numérique

Le déploiement du dossier médical partagé et des outils de coordination numérique facilite l’articulation entre les unités mobiles et les autres acteurs du système de santé.

« Chaque consultation réalisée dans notre bus est immédiatement intégrée au parcours de soins du patient, » explique le Dr. Lambert, coordinateur d’une CPTS en Normandie. « Les comptes-rendus sont accessibles au médecin traitant, quand il existe, ou aux autres professionnels qui suivent le patient. »

La formation adaptée

L’exercice en unité mobile requiert des compétences spécifiques que les formations initiales n’abordent pas. Des modules dédiés à la médecine itinérante commencent à apparaître dans les cursus universitaires.

L’Université de Clermont-Ferrand propose depuis 2023 un Diplôme Universitaire « Exercice médical en zones sous-dotées » qui intègre un volet consacré aux dispositifs mobiles. Cette initiative répond à une demande croissante des jeunes professionnels intéressés par ces modes d’exercice innovants.

Vers un maillage territorial repensé

L’avenir des unités mobiles de santé se dessine à travers une meilleure intégration dans l’écosystème territorial. La planification de leurs circuits doit s’articuler avec les autres ressources sanitaires locales : pharmacies, infirmiers libéraux, services d’aide à domicile.

En Ardèche, le projet « Santé Mobile 2026 » illustre cette approche globale. La communauté de communes coordonne le passage du bus médical avec les jours de marché, les permanences administratives et les services de transport à la demande, créant ainsi un véritable « guichet unique » de services pour les habitants isolés.

Les contrats locaux de santé intègrent désormais systématiquement un volet consacré aux dispositifs itinérants, avec une réflexion sur leur complémentarité avec les structures fixes.

« L’enjeu n’est pas d’opposer médecine mobile et cabinets traditionnels, » souligne Mme Leroy, directrice d’un contrat local de santé, « mais de construire des parcours de soins fluides qui combinent tous les outils à notre disposition. »

Témoignage de terrain

Marc, 58 ans, habite un hameau isolé du Morvan. Son témoignage illustre l’impact concret des unités mobiles : « J’ai fait un AVC il y a deux ans. Après ma rééducation, je devais voir régulièrement un neurologue. Sans le bus médical qui passe chaque mois avec un neurologue consultant, j’aurais dû faire 180 kilomètres aller-retour pour chaque rendez-vous. Avec mon hémiplégie, c’était inenvisageable. »

Pour les professionnels aussi, l’expérience est souvent positive. Le Dr. Richard, dermatologue, partage son expérience : « J’exerce dans cette unité mobile depuis trois ans. Cela m’a permis de redécouvrir ma spécialité sous un angle différent, plus proche des réalités territoriales. Je détecte des mélanomes chez des patients qui n’auraient jamais consulté autrement. »

Si les unités mobiles ne constituent pas la solution miracle face aux déserts médicaux, elles représentent une innovation organisationnelle prometteuse. Leur déploiement raisonné, en complémentarité avec les autres dispositifs, contribue à réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins. À l’heure où la proximité redevient une valeur centrale dans l’organisation des services publics, ces « cabinets sur roues » incarnent un pragmatisme bienvenu face à l’urgence sanitaire que connaissent de nombreux territoires français.

Cet article est un extrait du livre Urgence Santé – Réparer l’accès aux soins en France par Vincent Lemoine -ISBN 978-2-488187-11-4.

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