Maisons de santé pluridisciplinaires : une réponse aux déserts médicaux

La réalité des déserts médicaux en France

En 2025, près de 8 millions de Français vivent dans une zone sous-dotée en médecins généralistes. Ces chiffres, loin d’être de simples statistiques, traduisent une réalité quotidienne pour de nombreux habitants : délais d’attente de plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous, trajets de plus de 30 minutes pour consulter un spécialiste, ou renoncement aux soins faute de professionnels disponibles. Dans le département de la Creuse, certains patients parcourent jusqu’à 50 kilomètres pour une consultation chez un dermatologue.

Cette pénurie médicale touche désormais tant les zones rurales que certaines périphéries urbaines. Dans la communauté de communes du Val de Loire, la densité médicale a chuté de 25% en dix ans, avec un nombre de départs en retraite trois fois supérieur aux nouvelles installations. Cette situation engendre un cercle vicieux : les médecins restants, surchargés, refusent de nouveaux patients, aggravant l’accès aux soins pour les habitants.

Les Maisons de Santé Pluridisciplinaires : un modèle adapté aux besoins territoriaux

Face à cette situation, les Maisons de Santé Pluridisciplinaires (MSP) émergent comme une réponse structurelle aux inégalités territoriales d’accès aux soins. Ces structures regroupent sous un même toit différents professionnels de santé : médecins généralistes, infirmiers, kinésithérapeutes, orthophonistes, dentistes, sages-femmes et parfois psychologues ou diététiciens.

À la différence d’un simple regroupement de cabinets, les MSP fonctionnent selon un projet de santé commun, formalisé et validé par l’Agence Régionale de Santé. Ce projet définit des objectifs partagés de coordination, de continuité des soins et d’actions de prévention pour la population locale.

La MSP du Haut-Languedoc, ouverte en 2022, illustre ce fonctionnement intégré. Les douze professionnels qui la composent partagent un système d’information sécurisé permettant l’accès au dossier patient par tous les intervenants. Les réunions hebdomadaires rassemblent l’équipe autour des cas complexes, notamment les patients atteints de maladies chroniques. Cette coordination améliore la qualité des soins tout en optimisant le temps médical.

Bénéfices pour les patients et les territoires

Pour les patients, les avantages des MSP sont multiples. La présence de plusieurs disciplines médicales en un lieu unique facilite les parcours de soins, particulièrement pour les personnes à mobilité réduite ou sans moyen de transport. Les délais de prise en charge sont réduits grâce au partage des tâches entre professionnels selon leurs compétences.

Dans la MSP des Trois Vallées, une organisation optimisée permet d’accueillir les urgences non vitales le jour même, désengorgeant le service d’urgences de l’hôpital distant de 35 kilomètres. Les plages horaires élargies (8h-20h en semaine, permanence le samedi matin) augmentent l’accessibilité pour les actifs. Le taux de renoncement aux soins dans ce bassin de vie a diminué de 18% en trois ans selon l’enquête de l’Observatoire territorial de la santé.

Pour les territoires, les MSP constituent un levier d’attractivité médicale. Elles répondent aux aspirations des jeunes médecins qui privilégient désormais l’exercice coordonné au cabinet isolé. La charge administrative partagée, les horaires modulables et la possibilité d’exercer à temps partiel attirent une nouvelle génération de praticiens, hommes et femmes, soucieux d’équilibrer vie professionnelle et personnelle.

Un modèle économique repensé

Le fonctionnement économique des MSP repose sur un équilibre entre investissement public et viabilité financière. L’installation initiale bénéficie généralement d’un soutien des collectivités territoriales (commune, communauté de communes, département) qui financent le bâtiment, souvent propriété publique loué à un loyer modéré aux professionnels.

Les MSP peuvent accéder à l’Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI), qui rémunère les missions de coordination et de prévention. Cette enveloppe, qui peut atteindre 60 000 € annuels pour une structure moyenne, finance le temps de coordination, le secrétariat partagé et les actions de santé publique.

À Val-sur-Marne, la MSP perçoit 72 000 € annuels de financement ACI, permettant d’employer deux secrétaires à temps plein et de dégager du temps médical pour la coordination. Les professionnels conservent leur mode de rémunération habituel (paiement à l’acte, salariat ou mixte) tout en bénéficiant d’une mutualisation des charges.

Du projet à la réalisation : parcours et obstacles

La création d’une MSP suit un processus structuré mais exigeant. L’initiative émerge généralement d’un groupe de professionnels de santé locaux ou d’élus confrontés à la désertification médicale. L’élaboration du projet de santé constitue l’étape fondatrice, nécessitant 6 à 18 mois de concertation pour définir les objectifs communs, la gouvernance et l’organisation des soins.

Les obstacles sont nombreux : difficulté à mobiliser des professionnels déjà surchargés, complexité administrative, recherche de financement, et parfois résistances au changement. Dans la commune de Beaupréau, le projet initial a échoué faute de leader médical, avant d’être relancé trois ans plus tard avec l’appui d’un cabinet de conseil spécialisé.

Pour réussir, l’accompagnement par les institutions s’avère déterminant. Les Agences Régionales de Santé proposent un soutien méthodologique via leurs référents MSP. Certaines régions, comme la Bourgogne-Franche-Comté, ont mis en place des « facilitateurs de santé », professionnels dédiés à l’accompagnement des projets territoriaux.

MSP et innovation : vers un nouveau modèle de soins primaires

Les MSP les plus avancées développent des innovations organisationnelles qui transforment l’offre de soins de premier recours. L’intégration de la télémédecine permet l’accès à des spécialistes distants, comme dans la MSP de Haute-Montagne où un dermatologue consulte à distance une demi-journée par semaine, encadré par un infirmier formé.

La délégation de tâches s’y développe : des infirmiers en pratique avancée prennent en charge le suivi des pathologies chroniques stabilisées, des assistants médicaux préparent les consultations, et des coordinateurs de parcours accompagnent les patients complexes.

Certaines MSP deviennent des centres de formation, accueillant étudiants en médecine et paramédicaux. La MSP universitaire du Bocage forme chaque année huit internes de médecine générale, dont 30% s’installent ensuite dans un rayon de 30 kilomètres.

Évaluation et perspectives

Après plus de dix ans de développement, les MSP font l’objet d’évaluations scientifiques. Une récente étude de l’Institut de Recherche en Santé Publique montre que dans les territoires dotés d’une MSP, le recours aux urgences hospitalières pour des soins non programmés diminue de 15% comparé aux zones similaires sans MSP.

La satisfaction des patients atteint 85% selon les enquêtes de l’Union Régionale des Professionnels de Santé, notamment sur les critères d’accessibilité et de coordination des soins. Du côté des professionnels, 78% des médecins exerçant en MSP depuis plus de trois ans déclarent une amélioration de leurs conditions de travail et une réduction du sentiment d’isolement.

L’objectif national de 2 000 MSP d’ici 2027 semble réaliste avec plus de 1 600 structures fonctionnelles en 2025. Toutefois, leur répartition territoriale reste inégale : certains départements comme les Hautes-Alpes ou la Lozère atteignent un maillage satisfaisant, tandis que d’autres comme la Seine-Saint-Denis ou les Ardennes présentent encore de vastes zones blanches.

Vers un écosystème territorial de santé

L’évolution récente montre que les MSP s’intègrent dans un système plus large de coordination territoriale. Des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) se structurent à l’échelle des bassins de vie (30 000 à 150 000 habitants), regroupant plusieurs MSP, des professionnels isolés, des établissements de santé et médico-sociaux.

Cette organisation en réseau permet d’organiser la permanence des soins, de fluidifier les parcours entre ville et hôpital, et de déployer des actions de prévention à plus grande échelle. Dans le Territoire de Santé Ouest-Atlantique, la CPTS coordonne quatre MSP et trois pôles de santé, assurant une permanence des soins non programmés jusqu’à 20h tous les jours.

L’enjeu actuel consiste à dépasser le simple regroupement physique pour développer une véritable médecine d’équipe centrée sur le patient. Les MSP les plus matures évoluent vers des « maisons de santé hors les murs », où la coordination s’étend au-delà du bâtiment pour inclure d’autres acteurs du territoire : pharmacies, services d’aide à domicile, établissements médico-sociaux.

Conclusion : un modèle à généraliser mais à adapter

Les Maisons de Santé Pluridisciplinaires représentent une réponse structurante à la désertification médicale, mais ne constituent pas une solution miracle applicable uniformément. Leur réussite dépend de facteurs humains (leadership professionnel, cohésion d’équipe), territoriaux (besoins spécifiques de la population) et institutionnels (soutien des collectivités et organismes de santé).

L’enjeu des prochaines années réside dans l’accélération de leur déploiement dans les zones prioritaires, tout en maintenant l’exigence de qualité du projet de santé. Les territoires devront innover dans les formes d’exercice coordonné, en adaptant le modèle MSP aux spécificités locales : antennes satellites dans les villages éloignés, articulation avec la télémédecine, ou intégration de services médico-sociaux.

La transformation de l’offre de soins primaires ne réussira qu’avec l’implication de tous les acteurs : professionnels de santé prêts à faire évoluer leurs pratiques, élus locaux investis dans l’aménagement sanitaire du territoire, institutions sanitaires accompagnant sans rigidité administrative, et citoyens participant à la gouvernance de ces nouveaux espaces de santé.

Cet article est un extrait du livre Urgence Santé – Réparer l’accès aux soins en France par Vincent Lemoine -ISBN 978-2-488187-11-4.

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