Santé en France : Renforcer l’accès dans les territoires oubliés

La coopération locale : mairies et associations au service de la santé territoriale

En 2025, plus de 7 millions de Français vivent dans un désert médical. Dans le département de la Creuse, certains patients doivent parcourir plus de 30 kilomètres pour consulter un médecin généraliste. À Saint-Martin-du-Chêne, commune de 1 200 habitants, le dernier cabinet médical a fermé ses portes en 2023. Face à cette situation, la mairie a transformé l’ancienne poste en maison de santé pluridisciplinaire, attirant ainsi une jeune médecin et deux infirmières.

Ce type d’initiative se multiplie à travers les territoires oubliés de la carte sanitaire française. Les acteurs locaux – élus municipaux et associations – ne se résignent plus à attendre des solutions venues d’en haut. Ils inventent, expérimentent et mettent en œuvre des réponses adaptées à leurs réalités territoriales.

Les mairies en première ligne : des stratégies concrètes

Dans la commune de Valvert, 3 500 habitants, le conseil municipal a voté en 2024 une exonération fiscale de trois ans pour tout médecin s’installant sur son territoire. La mairie propose également un logement à loyer modéré pendant cette période. « Nous avons compris que l’aspect financier n’était qu’un facteur parmi d’autres », explique Mathilde Durant, maire de cette commune. « L’intégration sociale et professionnelle compte tout autant. »

À Montplaisir, c’est un cabinet médical clé en main que la municipalité a aménagé dans l’ancien presbytère. Équipement moderne, connexion internet haut débit, secrétariat mutualisé : tout est pensé pour faciliter l’installation de nouveaux praticiens. « Nous offrons des conditions d’exercice qui correspondent aux aspirations des jeunes médecins », souligne Pierre Lefort, adjoint au maire chargé de la santé. Cette initiative a permis l’installation de deux médecins généralistes et d’un kinésithérapeute en 2023.

D’autres communes innovent avec des solutions de transport. À Beaupré, une navette communale dessert les villages environnants et conduit les patients jusqu’au centre de santé intercommunal. Ce service, gratuit pour les personnes âgées et à mobilité réduite, fonctionne trois jours par semaine. En 2024, plus de 1 800 trajets ont été effectués.

Les associations locales : expertise terrain et innovation sociale

L’association « Santé Pour Tous » opère dans cinq départements ruraux. Sa mission : mettre en relation patients isolés et professionnels de santé. « Nous proposons un système de consultation mobile », explique Julie Martel, coordinatrice de l’association. « Des médecins volontaires consacrent une journée par mois à des consultations dans des villages isolés. Nous nous occupons de toute la logistique. »

Le collectif « Territoires en Santé » a développé un réseau de référents santé villageois. Ces bénévoles formés aux premiers secours servent d’intermédiaires entre la population et les structures médicales. Ils organisent également des ateliers de prévention avec l’appui de professionnels. « Notre modèle s’inspire d’expériences menées dans des zones rurales québécoises », précise Thomas Blanc, fondateur du collectif.

L’association « E-Santé Rurale » forme les personnes âgées à l’utilisation des outils de téléconsultation. « Nous installons le matériel, expliquons son fonctionnement et assistons les patients lors des premières consultations », détaille Sophie Verneuil, présidente de l’association. « Progressivement, ils gagnent en autonomie. »

Des synergies locales qui réinventent l’accès aux soins

La force de ces initiatives réside dans leur complémentarité. À Bois-du-Roy, la mairie a mis à disposition un local, l’association « Médecins Solidaires » coordonne les permanences médicales, et la communauté de communes finance une partie du matériel. Cette coordination permet d’offrir des consultations deux jours par semaine dans cette commune de 900 habitants, autrefois dépourvue de tout service médical.

Dans le canton de Valmonts, dix communes se sont associées pour créer un centre de santé intercommunal. La structure emploie directement trois médecins salariés et accueille des permanences de spécialistes. « Ce modèle salarial attire des praticiens qui ne souhaitent pas s’installer en libéral », analyse François Mercier, président de la communauté de communes. « Il répond également aux aspirations d’équilibre vie professionnelle-vie personnelle des jeunes médecins. »

À Bellerive, l’association « Mobilité Santé » a constitué un réseau de conducteurs bénévoles qui transportent les patients vers les structures médicales. La mairie contribue aux frais de carburant et d’assurance. « Ce système fonctionne car il repose sur la solidarité villageoise », observe Catherine Duteil, conseillère municipale. « Les conducteurs connaissent les personnes qu’ils transportent, ce qui crée une relation de confiance. »

La télémédecine : un outil à potentialiser par les acteurs locaux

Les cabines de téléconsultation se multiplient dans les pharmacies et mairies des zones sous-dotées. À Saint-Michel-sur-Loire, la municipalité a installé une telle cabine dans la maison des services publics. « Nous avons formé deux agents municipaux pour accompagner les patients », indique Jean-Marc Fournier, maire de la commune. « Ce dispositif ne remplace pas un médecin sur place, mais il offre une solution d’accès aux soins non négligeable. »

L’association « Connecteurs de Santé » propose des permanences hebdomadaires de téléconsultation assistée dans quinze villages. « Un infirmier ou une infirmière est présent aux côtés du patient pendant la consultation à distance », explique Lucie Dumas, coordinatrice du projet. « Cette présence rassure les patients et permet de réaliser certains actes techniques sous la supervision du médecin. »

Ces initiatives de télémédecine fonctionnent car elles sont ancrées dans un écosystème local. La technologie seule ne suffit pas ; elle doit s’intégrer dans un réseau humain pour être efficace et acceptée.

Le financement, nerf de la guerre

La question du financement reste un défi majeur pour ces initiatives locales. La commune de Chantebois a alloué 5% de son budget annuel à sa politique d’attractivité médicale. « C’est un choix politique fort », reconnaît Paul Renard, maire de cette commune de 2 800 habitants. « Mais la santé est devenue la première préoccupation de nos administrés. »

Les associations, quant à elles, jonglent entre subventions publiques, dons privés et cotisations. « Notre budget annuel est de 80 000 euros », indique Rachel Moreau, trésorière de « Mobilité Santé ». « Les financements sont précaires, ce qui fragilise notre action sur le long terme. »

Des partenariats innovants émergent néanmoins. L’association « Territoires en Santé » a conclu un accord avec trois mutuelles qui financent son réseau de référents santé villageois. « Les mutuelles ont compris que notre action préventive réduisait le recours aux soins d’urgence », souligne Thomas Blanc.

Certaines initiatives bénéficient de fonds européens. Le programme LEADER (Liaison Entre Actions de Développement de l’Économie Rurale) a ainsi soutenu plusieurs projets de santé rurale à hauteur de 40% de leur budget.

Des obstacles persistants à surmonter

Malgré leur pertinence, ces initiatives locales se heurtent à des obstacles administratifs et réglementaires. La création d’un centre de santé municipal implique des démarches complexes auprès des Agences Régionales de Santé. « Il nous a fallu deux ans pour finaliser notre projet », témoigne François Mercier.

Le recrutement de médecins reste difficile, malgré les incitations. « Nous avons dû contacter plus de cent médecins avant d’obtenir une réponse positive », raconte Mathilde Durant. La concurrence entre territoires s’intensifie, chaque commune cherchant à attirer les rares praticiens disponibles.

La pérennité des financements constitue une autre difficulté majeure. Les subventions sont souvent accordées pour des périodes limitées, ce qui compromet la viabilité à long terme des projets. « Nous passons presque autant de temps à chercher des financements qu’à mener nos actions de terrain », déplore Julie Martel.

Vers un modèle collaboratif généralisable

Face à ces défis, une approche coordonnée s’impose. Le réseau « Territoires de Santé » réunit désormais plus de 200 communes et associations partageant leurs expériences et bonnes pratiques. « Nous mutualisons nos ressources et notre expertise », explique Hélène Blanc, coordinatrice du réseau. « Cette coopération renforce l’efficacité de nos actions. »

Des conventions entre communes, associations et institutions sanitaires formalisent les partenariats. À Val-des-Sources, une charte d’engagement réunit la mairie, trois associations locales, la communauté de communes et le centre hospitalier régional. « Cette gouvernance partagée garantit la cohérence des actions », estime Robert Vincenot, directeur de la santé publique à la communauté de communes.

Ces initiatives locales inspirent désormais les politiques nationales. Le plan « Territoires de Santé 2025 » intègre plusieurs mesures expérimentées au niveau local : soutien financier aux cabines de téléconsultation assistée, aide à la création de postes de coordinateurs santé communaux, financement de navettes médicales rurales.

L’indispensable évolution des mentalités

Au-delà des aspects organisationnels et financiers, c’est une véritable révolution culturelle qui s’opère dans l’approche de la santé territoriale. « Nous passons d’une logique d’assistanat à une dynamique de co-construction », analyse Marie Lambert, sociologue spécialiste des questions de santé rurale. « Les habitants ne sont plus seulement des patients, mais des acteurs de leur système de santé local. »

Cette participation citoyenne se manifeste dans des initiatives comme les « cafés santé » organisés chaque mois à Beaupré. Ces rencontres informelles permettent aux habitants d’exprimer leurs besoins et de proposer des solutions. « Plusieurs de nos actions actuelles sont nées lors de ces échanges », confirme Catherine Duteil.

Les professionnels de santé évoluent également dans leur perception du métier. « Le médecin de campagne isolé n’est plus un modèle viable », constate le Dr Antoine Roussel, qui partage son temps entre deux maisons de santé rurales. « Nous aspirons à travailler en équipe, à partager des ressources et des compétences. »

Un enjeu de cohésion territoriale

L’accès aux soins dans les territoires oubliés dépasse la simple question sanitaire ; il s’agit d’un enjeu d’égalité républicaine. « Quand un territoire perd ses services de santé, c’est tout son attractivité qui s’effondre », observe Paul Renard. « Les entreprises hésitent à s’installer, les jeunes familles partent, les écoles ferment… C’est un cercle vicieux. »

À l’inverse, les initiatives réussies créent une dynamique positive. À Valvert, l’installation de deux médecins a été suivie par l’ouverture d’une pharmacie et d’un cabinet d’infirmières. « La présence de services de santé rassure les habitants et attire de nouveaux arrivants », constate Mathilde Durant.

La coopération locale en matière de santé représente ainsi un levier de développement territorial global. Elle renforce le sentiment d’appartenance communautaire et stimule les solidarités. « Quand les habitants se mobilisent pour leur santé, ils redécouvrent leur capacité d’agir collectivement », note Marie Lambert. Cette dynamique citoyenne peut ensuite s’étendre à d’autres domaines : éducation, culture, environnement.

Les territoires oubliés de la carte sanitaire française deviennent ainsi des laboratoires d’innovation sociale. Loin des discours théoriques, ils expérimentent au quotidien des solutions pragmatiques qui pourraient inspirer une refondation plus large de notre système de santé.

Cet article est un extrait du livre Urgence Santé – Réparer l’accès aux soins en France par Vincent Lemoine -ISBN 978-2-488187-11-4.

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